Penhouët
1
Soleil trompeur, Elora Weil-Engerer, 2023
C’est un grand bain de lumière : la peau se dilate et hume les odeurs du soleil. Les contours s’effacent et blanchissent sous l’action de l’ozone, comme une image brûlée ou un linge décoloré. On ne sait donc pas où ces corps commencent et où ils s’arrêtent. On ne sait pas davantage s’ils sont clairement distincts du paysage, puisque tous les éléments semblent être traités à parts égales et poreux les uns aux autres. Les objets et les ombres mordent les membres des personnages et l’environnement est diffus et incertain comme un souvenir-fantasme. S’agit-il d’une figuration de la métempsycose, ce phénomène de transmigration des âmes d’un corps à l’autre ? Ou ces ectoplasmes ne sont-ils dûs qu’à de purs effets optiques, liés à l’interaction entre la lumière et la matière ? D’un point de vue plastique, mirage est accusé par des valeurs liquides et brumeuses. Parmi ses lieux de prédilection, on relève : la plage, la piscine, le lit ; tout ce qui ondoie, plie et dissipe. En somme, il s’agit d’ espaces qui nourrissent l’imagination et privilégient un rapport double au réel. Les choses et les êtres y sont plus mouvants et métamorphes qu’ailleurs et le regard, aveuglé ou distrait, peine à les saisir dans leur globalité. C’est comme si toute chose n’était que le reflet d’une autre, vue dans un miroir ou projetée dans notre esprit, ce qui serait d’autant plus pertinent que ces figures sont toutes absorbées dans leur for intérieur, comme prises à la dérobée : leurs activités intimes, leurs pensées et leur contemplation les éloignent de nous. Elles sont autant en elles qu’elles sont englouties par le soleil, bref, elles sont partout, sauf là où on attendrait qu’elles soient. Ensuqués par la chaleur, leurs corps s’affaissent et se déploient, comme s’ils étaient sur le point de fondre et de devenir, à leur tour, une flaque aux propriétés réfléchissantes. Serait-ce un jeu d’illusion qui n’en finit pas de finir ?
C’est peut-être au sein des techniques photographiques que la peinture de Barbara Penhouët puise certains gestes et motifs. Je pense aux rayogrammes, aux surimpressions et aux solarisations d’une Lee Miller ou d’un Man Ray, mais aussi aux lectures par Roland Barthes de la lumière photographique et chimique : « La photo est littéralement une émanation du référent. D’un corps réel, qui était là, sont parties des radiations qui viennent me toucher, moi qui suis ici ; peu importe la durée de la transmission ; la photo de l’être disparu vient me toucher comme les rayons différés d’une étoile. » (La Chambre claire : notes sur la photographie, Paris : Gallimard, p.126). Aussi, la production de l’image photographique - capturée, révélée, projetée
- n’est pas complètement étrangère au traitement de la matière picturale par Barbara Penhouët. L’artiste utilise une peinture à l’huile très diluée qu’elle travaille par accumulations et effacements à la brosse. Sur un temps long, les pigments mordent plus ou moins la toile dont la trame reste parfois visible en réserve : l’image est affaire de patience, d’apparition et d’allers-retours. Il s’agit presque d’un travail en négatif puisque les valeurs chromatiques sont inversées par rapport à la source.
La série des Serviteurs muets est assez symptomatique de cette recherche sur l’image évanescente. Les personnages en situation se voient défaits des objets qu’ils et elles utilisent : le téléphone portable, la cigarette. etc. L’absence de leur outil met en exergue une grammaire chorégraphique des mains et des corps, et une tendresse infinie est soudainement apportée à ce qui n’est plus là. Ces choses terriblement banales, une fois retirées, font place au silence et à la solitude et l’on porte dès lors un regard empathique sur des êtres fragiles que seule une vague poésie arrime au réel. Les couleurs acides, les formes auratiques et l’absence d’un contexte spatio-temporel clairement défini, placent déjà ces scènes dans le domaine de la mémoire, qui ne se délivre que par bribes, éblouissements et contre-jours.
Elora Weill-Engerer, critique d’art
2
Ecran total, exposition personnelle, Hugo Spini, 2023
À force d’être reproduit, le rituel s’imprime dans la mémoire collective en une seule et même résurgence vaporeuse, à l’image d’une photo affadie par une exposition répétée à la lumière. Noël, le sport, la transmission du geste ou la saisonnalité sont autant de cycles qui inspirent Barbara Penhouët. La recherche mémorielle est dans ses toiles omniprésentes, évoquant un passé lointain qui se confond avec le présent telle une mythologie moderne. Le soleil est un élément essentiel de cette quête de mémoire, offrant des moments d’éblouissement qui constituent autant de points d’ancrage pour l’imagination qui se mêle aux souvenirs.
La vision prosaïque d’un sapin de noël au milieu de poubelles, dépouillé de ses atours, permet l’ouverture de pistes de réflexion autour du rituel des fêtes de fin d’année. Que reste-t-il après l’orgie ? Un arrière-goût de citrate de bétaïne ? Les restes d’un consumérisme cyclique ?
Barbara Penhouët suggère plus qu’elle ne représente, dépeignant sur ses toiles des réminiscences comme celles des corps sur la plage, leurs peaux frappées par le soleil desquelles émane l’odeur d’écran total et de fumée. Qu’elle soit représentée par un simple trait blanc ou suggérée uniquement par la gestuelle des mains, la cigarete est devenue un accessoire de la mythologie moderne. Elle est une source de chaleur toxique à forte exposition – tout comme l’astre brûlant - se rapprochant inévitablement des lèvres. L’artiste figure une quête incessante propre à l’homme, celle de vouloir s’élever toujours plus haut vers le soleil au point de se brûler à l’instar d’Icare en recherche de liberté.
Cette liberté, l’artiste l’évoque aussi par le motif de l’oiseau, dont l’esthétique des toiles ne laisse pas entrevoir la cruauté du sort. Certains sont collés à des branches afin de servir d’appât lors de chasses à la glu, pratique jugée cruelle et illégale en France depuis 2020. D’autres sont enfermés dans une cage formée par la réserve de la toile, une empreinte négative sans matérialité, image d’une construction sociale absurde.
3
Sarah Mercadante, juin 2021
Les peintures de Barbara Penhouët me font prendre deux voi-es-x, dont j’aime tout autant les lectures qu’elles apportent à son travail. Je les laisse donc dialoguer car elles provoquent ici des associations heureuses.
***
On découvre la scène, sur le vif. C’est presque cinématographique, comme une apparition. Cut. Ecran noir. Les lumières se rallument et reste alors un souvenir, une image persistante, dessiné dans ses grandes lignes : la pause du corps, une texture quelque part, une couleur d’ambiance.
Le passage de l’ombre à la pleine lumière, fait perdre la vision périphérique et la perception des contrastes. La vision centrale devient plus détaillée et la perception de la couleur plus grande.
La palette de Barbara est comme une exploration de ce moment de transition où les couleurs réapparaissent vibrantes, éblouissantes, saturées.
Après le flash, les contours de l’environnement proche se matérialisent à nouveau, dans un mélange de soulagement et d’attente rassurante.
Les scènes des ses tableaux sont capturées par un oeil acteur de la scène, qui fragmente les actions initiales, les sortant de leur contexte, les recadrant.
Souvent aussi, les objets et les lieux clés, qui pourtant contextualisent les mouvements des personnages, sont absents, puisque volontairement effacés.
Cet axe rapproche les peintures de Barbara de ce que S. Freud appelle « souvenir-écran » : un « souvenir reconstruit fictivement par le sujet à partir d’événements réels ou de fantasmes, et qui a la même valeur que ceux-ci ».
Sa peinture provoque l’apaisement parce qu’elle rejoue la banalité d’un quotidien dans lequel on se retrouve.
Pour délivrer ce sentiment de quiétude, Barbara s’appuie sur une exploration assidue des flux d’images virtuelles, à laquelle s’ajoutent des clichés personnels. Cette banque d’images devient alors un matériel intime qu’elle peut autant consulter qu’oublier. Sa peinture propose ainsi un nouvel instantané, assemblant des parcelles de visages, de corps et de scènes intégrées qu’elle réactive dans la pratique patiente de ses toiles, se laissant surprendre par ce qui apparaît sous son pinceau.
Nés de cette réminiscence, ses tableaux pourraient tout aussi bien sortir de notre propre mémoire, rejouant ces scènes dont on peut encore saisir l’ambiance et l’intensité, mais dont l’image s’estompe, inévitablement.
5
Margot Coïc, mars 2021
Le travail de Barbara Penhouët est un savant mélange entre un regard inédit sur les corps en peinture et une explosion de couleur. Dans sa série Momentum elle observe nos intérieurs, nous invitant à prendre un peu de recul pour observer nos contradictions.
De la préparation de la toile aux temps de séchages, la peinture est une pratique particulièrement longue. Barbara P travaille avec une accumulation de couche de peinture, oscillant entre transparence et opacité, laissant apparaître la réserve, qui donne cette atmosphère si particulière a ses toiles, comme si la lumière venait de la toile elle même.
Cette temporalité de la peinture donne à Barbara Penhouët le temps de composer son regard autant que sa toile, de faire des pas de côtés, de prendre un peu de recul et de modeler sa vision tout en se posant à contre courant d’une société consumériste de plus en plus rapide.
Pour Barbara Penhouët, peindre c’est prendre le temps d’observer.
Avec cette série, elle pose justement son regard sur une de nos plus grandes contradictions du moment : celle d’abandonner, consciemment ou non, nos intimités. L’intimité de nos foyers, que l’on montre, que l’on affiche, que l’on présente, que l’on compare et celle de nos corps. Consciemment ou non, la société de la transparence nous atteint toutes et tous. Le regard de l’autre vient juger nos meubles, nos décorations, nos maisons autant que nos corps qui deviennent des objets comme les autres.
C’est là que le regard de Barbara Penhouët change la donne dans l’histoire de la peinture.
Les corps qu’elle présente, passent de ce statut d’objet à sujet. Dans des cadres qui sont presque cinématographiques et à mesure qu’elle les peint, Barbara P. redonne à ces corps une place dans l’espace et dans le temps. Les personnages sont captés dans un mouvement léger, presque infime et profondément vivant. D’une manière si subtile que lorsqu’on surprend une poitrine qui se soulève pour respirer, le sursaut d’un sanglot ou le passage d’une brise légère dans l’herbe, on se demande si on ne l’a pas rêvé.
Il se créer une telle proximité, une telle intimité entre le regardeur et la figure au centre de la toile, qu’on se laisse à croire qu’on fait parti de la scène.
Momentum de Barbara Penhouët nous invite à regarder nos contradictions avec bienveillance, à les observer, les interroger et les comprendre. Plus que tout, avec cette série, elle nous rend nos corps, nos intérieurs, nos intimités. Avec respect et pudeur, elle nous rappelle, que nous, et nous seuls pouvons décider que faire et que penser de nos reflets.